J’avais déjà consacré un billet à PSY et à son Gangnam Style, mais je ne pensais pas avoir une autre occasion de parler du chanteur coréen sur S.I.Lex. Or voici qu’à l’occasion de la sortie de son nouveau single Gentlemen de nouvelles questions juridiques se posent, au sujet de la « danse de l’arrogance » que PSY effectue dans le clip.
Comme avec l’irrésistible danse du cheval invisible, le chanteur aux lunettes noires mise à nouveau sur une danse caractéristique, pour essayer de rendre la vidéo virale (et il semble que ce soit bien parti). Or ici, cette « danse de l’arrogance » n’est pas une création originale, mais un emprunt à un autre groupe de K-pop, les Brown Eyed Girls, qui ont déjà utilisé ce pas dans le clip de leur morceau Abracadabra, gros carton de l’année 2009 en Corée du Sud.
Plagiat chorégraphique ou respect quasi-religieux du copyright ?
Certains crient déjà au plagiat, mais les choses sont en réalité plus complexes. PSY a en effet été félicité cette semaine par la présidente de la République de Corée du Sud en personne, Park Geun-Hye, pour son respect scrupuleux des droits d’auteurs. Elle a cité le chanteur en exemple pour appeler ses concitoyens à miser sur le développement des industries culturelles et créatives :
Le piratage rampant de nos produits culturels et technologiques doit être enrayé, pour encourager davantage la créativité et je remercie PSY d’avoir payé pour emprunter un pas de danse à un autre groupe pour son dernier titre Gentlemen.
Le Pays du Matin Calme est en effet une contrée qui ne plaisante pas avec le droit d’auteur (c’est le premier pays par exemple à avoir mis en place une riposte graduée à l’imitation de la France). La K-pop fait d’ailleurs partie intégrante du phénomène de l’Hallyu ou « vague coréenne » qui voit depuis plusieurs années la Corée diffuser massivement ses productions culturelles dans les pays asiatiques environnants et dans le monde entier. PSY est d’ailleurs devenu le fer de lance de cette stratégie commerciale, qui passe également par une sensibilité accrue à la lutte contre la contrefaçon en Corée, soumis au piratage massif d’autres pays comme les Philippines par exemple.
Le Copyright Madness a-t-il encore frappé ?
On comprend mieux dès lors que PSY ait conclu une licence et versé une somme d’argent aux chorégraphes Yama & Hotchicks, célèbres en Corée, pour pouvoir reprendre la « danse de l’arrogance » qu’ils avaient conçue pour les Brown Eyed Girls. Ce faisant, sa démarche est d’ailleurs assez en phase avec la stratégie globale de son pays, car il a déclaré vouloir inclure des pas de danse réputés dans son pays à ses propres créations pour mieux pouvoir les faire connaître à l’étranger.
On pourrait aussi considérer que payer une licence pour reprendre un simple pas de danse est révélateur du climat de Copyright Madness qui sévit actuellement dans le monde entier. Pourtant les précédents en matière de plagiat chorégraphiques existent bel et bien. En 2011, Beyoncé par exemple avait été attaquée par la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker pour avoir lourdement copié ses pas de danse dans le clip de sa chanson Countdown. Et il est incontestable que dans plusieurs pays (dont la France), les chorégraphies font partie des créations pouvant être protégées par le droit d’auteur.
Licence ou hommage ?
On comprend donc que quelqu’un d’aussi exposé que PSY ait voulu se couvrir juridiquement. Mais sur le site Blouin Art Info, on conteste cette lecture des choses, en affirmant que PSY n’était pas obligé de verser cette somme d’argent et qu’il l’a seulement fait à titre d’hommage :
He was not legally required to pay a fee, as there is no law regarding copyrights for choreography in Korea. Local reports that he “officially paid for a license” are thus erroneous, as The Maeil Business Newspaperpointed out in its April 16 report.“Psy wanted to credit the original creators Yama & Hotchicks and expressed his gratitude [in the form of money],” his agency YG Entertainment was quoted as telling Korean media. The cash gift is regarded as a meaningful gesture in Korea, pointing to the dire need to address intellectual property issues in the pop world.
Le site indique que les chorégraphies ne seraient pas protégées par le droit d’auteur en Corée du Sud, mais je ne suis pas si certain de cette affirmation, car on trouve trace en 2011 d’une action en justice intentée par des chorégraphes contre une académie de danse qui avait repris certaines de leurs créations sans leur verser de rétribution. Et les juges avaient alors, semble-t-il, considéré que les chorégraphies étaient bien protégeables par le droit d’auteur :
“As long as creative works include personal thoughts or emotions, the copyright to such works should be preserved,” the court said in its ruling [...] The academy had argued that the dance moves could be used for educational purposes, but the court said in its recent ruling that if the classes were offered in exchange for money, the academy is not exempt from having to gain permission to use copyrighted work.
Je pense donc que même si PSY a effectivement voulu rendre hommage aux Brown Eyed Girls (ce qui semble corroboré par le fait qu’il ait invité un membre du groupe, la chanteuse Ga-In, à participer à son clip), il s’est aussi sagement couvert juridiquement en versant une somme d’argent.
Le remix entre dans la danse
Quoi que l’on pense sur le fond de PSY et de la qualité de ce qu’il produit, sa démarche est intéressante, au moins pour son habilité à utiliser à son profit les codes de la culture numérique. Pour Gangnam Style, il avait déjà innové en lançant un appel au crowdsourcing à toute la communauté de la danse en Corée et c’est à partir de ses suggestions qu’il avait créé la fameuse « danse du cheval invisible ».
Quand on lit bien ce qui s’écrit sur lui, PSY a autant l’air d’être en Corée un comique qu’un chanteur de hip-hop, qui se moque des standards hyper formatés de la Kpop en les parodiant. Capable de jouer habilement avec les contraintes du droit d’auteur (il a engrangé plusieurs millions de dollars de recettes publicitaires en laissant le clip de Gangnam Style circuler sur Youtube), il incarne assez bien notre âge de l’oeuvre d’art à l’ère de son appropriabilité numérique, comme le décrit André Gunthert. Conçu dès l’origine comme un produit destiné à être parodié et à passer à la moulinette du remix et du mashup sur Youtube, il est assez logique que PSY se moque d’apparaître comme original, pour afficher franchement ses propres emprunts et citations à des groupes pré-existants.
Le prix de la neutralisation symbolique
Everything is a remix ! Cela devient peu à peu une posture assumée, mais cette incorporation du remix au coeur des rouages de l’industrie culturelle de masse globalisée, lui fait courir le risque de perdre tout son potentiel subversif, notamment vis-à-vis du carcan du droit d’auteur. On est très loin avec PSY du Remix Manifesto de Brett Gaylor, qui avait pourtant été l’étendard de toute une génération désireuse de changer les choses…
C’est peut-être cela avant tout la signification de cette somme d’argent versée par le chanteur : le prix d’une neutralisation symbolique du remix en marche.
PS : ce qui est cocasse, c’est que bien qu’ayant reçu les félicitations de la présidente pour son respect du copyright, PSY a vu sa vidéo interdite à la télé sud-coréenne pour « atteinte à l’ordre public ». La raison, c’est simplement qu’il shoote dans un cône de signalisation routière au début du clip et qu’on ne badine pas en Corée avec le respect de l’ordre. Étrange pays, décidément…
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